top of page

Incapacité spirituelle (Mc 6, 1-6)

Lectures du jour : (He 12, 4-7.11-15) – Psaume 102 (103) - (Mc 6, 1-6)


Trouble water, Ohrid, Macédoine, IHA, 2018
Trouble water, Ohrid, Macédoine, IHA, 2018

Ce passage de l’évangile pourrait se résumer à ce proverbe bien connu : « Nul n’est prophète en son pays ». Ou encore « les Nazaréens ont rejeté Jésus ». Mais il est, je pense, bien plus riche que ça !

 

Décortiquons-le un peu. J’y vois 3 parties :

  1. Première partie narrative : Jésus va à Nazareth, avec ses disciples, il enseigne avec brio à la synagogue un jour de sabbat, les gens du coin en sont tout ébahis, « frappés d’étonnement », nous dit le texte. Jusque-là, rien de spécial. L’enfant du pays est de retour, le fils du charpentier, un petit génie dans son genre…

  2. Deuxième partie : « Et ils (les Nazaréens) étaient profondément choqués à son sujet (de Jésus). » Qu’est-ce à dire ? Surpris ? Interloqués ? Offusqués ? Cette remarque fait basculer le texte, puisque Jésus réagit en disant : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » « Et là, Jésus ne pouvait accomplir aucun miracle », il guérit quelques malades, impose les mains. Il s’étonne de leur manque de foi.

  3. Troisième partie, Jésus continue son chemin en enseignant dans les villages alentour…


J’ai essayé de comprendre le lien entre ces différentes parties.


Ne peut-on pas être fier d’un enfant du pays et être profondément touché, voire choqué (en état de choc), par ce qu’il est devenu, sans que cela pose problème ? Ne peut-on pas se dire que les gens du village sont contents, fiers même ! « T’as vu le fils de Marie ? Le frère des autres ? Il est de chez nous ! C’est un des nôtres… On ne s’imaginait pas, hein !!! »


Alors pourquoi Jésus réagit-il comme ça ? Pourquoi prend-il cela pour du mépris ?  Et puis, il s’en va, comme ça… en s’étonnant de leur peu de foi…

 

Je reviens sur ce qui me semble la phrase charnière du texte : « Ils étaient profondément choqués à son sujet. » L’Evangéliste a sûrement un message à nous transmettre. C’est la deuxième partie.


Le texte grec utilise le verbe « skandalizô » pour parler de l’effet que Jésus produit sur les gens de son village. Profondément skandalizô.

 

La signification du verbe « skandalizô » oscille entre étonnement, perplexité et scandale. Il évoque une réaction de rejet intérieur qui empêche quelque chose, un grand trouble, un obstacle qui fait tomber, qui faire perdre l’équilibre. Où est le scandale pour les gens de Nazareth ? On trouve ce mot dans un autre texte biblique : dans 1 Pierre 2, 7-8 [1]. Jésus y est décrit comme « une pierre d'achoppement » et « un rocher de scandale » (littéralement) sur lequel on trébuche. Il divise, met à l’épreuve la foi, révèle la manière dont les gens réagissent à la vérité divine. 

 

Il est donc là, le scandale : les gens de Nazareth achoppent ! Ils ne voient en Jésus qu’un homme, un des leurs, revenu au village. Leur vision très (trop) humaine de Jésus les empêche d’envisager la possibilité qu’il soit autre chose que le fils du charpentier. C’est un blocage spirituel profond [2], un blocage intérieur qui les empêche d’aller plus loin, qui les empêche de rencontrer Jésus au-delà de sa nature humaine ! D’où la réflexion de Jésus : « le prophète est méprisé par les siens ». C’est, avouez, une ironie tragique : ceux qui auraient dû le reconnaître en premier sont fermés à ce qu'il est vraiment.

 

Ce mot « scandale » est un élément clé de la réaction humaine à l’œuvre de Dieu, avec ce que cela comporte de rupture intérieure parce que l’on est confronté à la réalité nouvelle qui bouleverse les certitudes. On pourrait parler d’ « incapacité spirituelle ». Le mot « scandale » a malheureusement aujourd’hui perdu toutes ses nuances. C’était un mot pour dire une question de cœur et d’ouverture/fermeture.

 

Les Nazaréens sont de simples « auditeurs » à la synagogue, ils entendent. Leur connaissance de Jésus le réduit à ce qu’ils savent de lui. Une barrière les empêche de le reconnaître comme envoyé de Dieu, comme Dieu. Ils sont victimes d’une sorte d’aveuglement spirituel. Ils ne peuvent pas reconnaître l’invisible au-delà du visible. Ils ne peuvent pas entrer dans une démarche de foi.

 

Je ne peux m’empêcher de mettre ce récit en parallèle avec celui des disciples d’Emmaüs [3]. Eux aussi, au début, ont une incapacité à reconnaître Jésus, aveuglés par leur compréhension limitée des événements humains récents. Mais à travers l’écoute de l’Ecriture et avec le geste du partage du pain, leurs yeux s’ouvrent et ils reconnaissent Jésus. L’obstacle spirituel est dépassé !

 

C’est fascinant de voir comment ces deux textes résonnent entre eux. Le contraste repose sur la présence ou l’absence de « déclic ». L’élément décisif, c’est la disposition intérieure : A Emmaüs, les disciples, bien que troublés, restent en recherche et acceptent d’écouter, de partager. A Nazareth, la surprise initiale ne se transforme pas en ouverture : l’habitude, la proximité, les présupposés empêchent les Nazaréens de voir au-delà de ce qu’ils connaissent déjà.

 

« Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » A Emmaüs, Jésus ne se plaint pas d’être méprisé. Il leur reproche seulement leur lenteur à croire « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu’on dit les prophètes ! » [4]

 

A Nazareth, Jésus est surpris – c’est la seule fois où l’Evangile dit qu’il s’étonne. Constat de la nature humaine des siens, de leur absence de foi. Et « Pas de foi, pas de miracle! » Juste quelques guérisons. Simples bénédictions, comme une invitation à être réceptif…  A Emmaüs, Jésus emmène les disciples au dehors et, levant les mains, il les bénit.

 

Troisième partie : A Emmaüs, Jésus se sépare des disciples et il est emporté au ciel. A Nazareth, Jésus s’en va plus loin, dans d’autres villages.

 

Pourquoi ? Sans doute parce que sa mission est de faire grandir là où c’est possible. Parce que l’avènement du Royaume de Dieu ne dépend pas d’un seul lieu ou d’un seul groupe, fût-il la famille, mais sur la possibilité de rencontrer des personnes prêtes à recevoir la Bonne Nouvelle, capables de recevoir la Bonne Nouvelle. Jésus quitte simplement de Nazareth comme il y est venu, parce que Dieu vient toujours humblement et ne force jamais l’entrée dans le cœur de l’humain. Il part peut-être aussi parce que « son heure n’est pas encore venue »…


Saint Paul dit aux Corinthiens : « Désormais nous ne connaissons plus personne à la manière humaine ; si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. [5]«  C’est son expérience. C’est celle des disciples d’Emmaüs. C’est ce que les Nazaréens sont incapable de faire…


Je vous laisse avec deux questions : Sommes-nous vraiment ouverts à Jésus, Dieu, dans notre quotidien ? N’oublions-nous pas de le reconnaître dans ce qui nous semble trop ordinaire ou proche de nous ?

 

[1] « Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver.« 

[2] On n’en dit pas plus dans Marc. Dans Luc, on voit que les Nazaréens veulent le tuer en le jetant d’une falaise… On n’est plus dans le même trip !

[3] Lc 24, 13-53

[4] Lc 24, 25

[5] 2 Co 5, 16

Comments


NB : Mes réflexions n'engagent que moi. Libre à vous de partager si vous estimez qu'elles le méritent...

bottom of page