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Un verset culte pour l'iconographe

« Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu » (Jn 3, 21).


Faire la vérité - la vérité de Dieu. En passant des ténèbres à la lumière - la lumière, c’est le Christ. Accomplir des œuvres en union avec Dieu – réaliser l’œuvre de Dieu. Ce verset me fait penser aux icônes, à la manière dont on les réalise, à la prière et l’exercice spirituel de l’iconographe. Et si en faisait leur « verset culte » ?


Pour les orthodoxes, l’icône n’est pas une œuvre picturale que l’on contemple et qui aide à prier. L’icône est un objet sacré, qui manifeste la présence du Christ ressuscité et la plénitude de l’Esprit saint. Quel que soit le sujet représenté : un Christ, une vierge, un saint, une scène biblique, un épisode de la vie de Jésus.


L’iconographe, dans la tradition russe, après avoir dessiné les contours, peint d’abord les vêtements avec des couleurs foncées, suivant un canon défini, puis il couvre le visage et les parties du corps avec du « sankir », la couleur terreuse de la peau. Le fond sombre, « ténébreux », s’éclaircit par application de couches de plus en plus claires, en zones de plus en plus étroites ; la lumière apparaît ainsi progressivement, jusqu’au nimbe et au regard. Il y a là derrière une tradition et une symbolique fortes : la sainteté [1] passe, durant l’existence terrestre, des ténèbres à la lumière. L’icône nous le montre. L’iconographe le vit.


Icône à l'étape initiale des aplats, ombres,ténèbres
Icône à l'étape finale : lumière,rayonnement

Quand on se dit la première fois qu’on peindrait bien une icône, c’est souvent parce qu’on a été saisi en en contemplant une. On souhaite entrer dans ce « mystère » et « écrire [2] » sa propre icône. Il faut du temps et de la patience : la tempera à l’oeuf est une technique délicate, qui demande de poser des dizaines de couches minces, et de bien les laisser sécher, l’une après l’autre. On se sent souvent maladroit, démuni mais surtout impatient du résultat. Certains ne peindront qu’une seule icône, d’autres recommenceront. Ils disent entamer un chemin personnel vers Dieu. Ils y consacrent du temps : du temps pour la peinture, du temps pour la lecture, du temps pour la méditation, qui ouvre à la connaissance du sujet représenté, à la connaissance de soi-même et des autres, à la connaissance de Dieu. Vivre ce temps « donné » conduit à une transformation progressive de soi, avec prise de conscience de ses zones d’ombres, de ses zones de lumière, de son engagement à la suite du Christ.


Je peux dire aujourd’hui que la pratique régulière de l’iconographie a changé ma manière de prier, et sans doute aussi ma manière d’être. Cela me permet de m’ouvrir à l’œuvre de Dieu, c’est-à-dire, à ce que Dieu opère en moi. Des parties de ma vie, de mon quotidien, re-font surface. Elles ne sont toujours roses, elles me mettent parfois en tension. Je laisse alors un peu les pinceaux de côté, je me mets en présence du Seigneur puis je reviens, quand je peux « faire la vérité ». Le cœur se transforme petit à petit. Un peu comme si l’icône se plaçait à un niveau existentiel « juste », que son authenticité se trouvait dans le face-à-face entre elle et moi. Je suis souvent surprise de la résonnance en moi d’un sujet que j’ai choisi je ne sais pas trop pourquoi. La résonnance est amplifiée quand je peins à la demande d’un ami. C’est une expérience pacifiante et à la fois bouleversante. On dit que l’« on écrit comme on respire ». On respire aussi comme on écrit l’icône.


Quand le travail est terminé, il n’y a plus l’angoisse des défauts et des traits maladroits. Il y a la joie de la lumière, la joie du chemin parcouru « en union avec Dieu » et la joie de l’avenir qui se profile. L’icône donnée illuminera d’autres personnes, inconnues, anonymes, de tout horizon, de tout âge. « Il est manifeste que l’œuvre de Dieu a été accomplie en union avec Dieu ».


La première image présente une planche représentant le Christ Pantocrator [3] à l’étape des aplats, de l’ombre, des ténèbres. Il reste, pour la rendre icône, à en faire émaner la lumière, comme le montre la seconde.  En la contemplant, nous bénéficions du regard posé par le Christ sur nous, de sa lumière, de son rayonnement. Il nous invite à le suivre, en vérité. Osons dépasser l’objet : entrons dans la lumière, dans la prière, dans la joie du Ressuscité. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu ». C’est vrai pour l’iconographie, c’est vrai aussi pour autre tout moment de notre vie de témoin, de chrétien !


(Texte écrit en méditation de l'Evangile du 27/4/2022 : Jn 3, 16-21)

 

[1] Etre saint, ce n’est pas atteindre un idéal de perfection, mais consentir joyeusement à ce que nous sommes et nous laisser transformer par Dieu. La sainteté jaillit de la vie. Dieu nous y invite chacun et chacune. (Jacques Gauthier, 2019, Devenir saint, Ed. Emmanuel)

[2] Peindre ou écrire une icône ? Je n’entre pas dans le purisme des mots, rejoignant en cela Elisabeth Lamour (https://iconeslamour.wordpress.com/2021/01/08/ecrire-ou-peindre-une-icone/).

[3] Le « Pantocrator » est une représentation du Christ en gloire, en buste, tenant le livre des Saintes Ecritures dans la main gauche et levant la droite dans un geste de bénédiction.

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